Une (r)évolution dans les Archives de l’État : les chartes des comtes de Flandre deviennent les chartes des comtes et comtesses de Flandre

Pour mieux saisir les enjeux de cette nouvelle nomination, il faut remonter le temps… C’est au XIXe siècle que les archivistes classent et identifient ces incroyables documents. L’équipe est alors exclusivement composée d’hommes. "Dans cette perspective masculine traditionnelle, l’attention a été principalement portée sur les actions des hommes. Les femmes, quant à elles, bien qu’elles apparaissent fréquemment dans les sources ont souvent été minorisées. L’archiviste du XIXe siècle Jules de Saint-Genois a été le premier à étudier cette collection de chartes et les a nommées ‘Chartes des comtes de Flandre’ vers 1843-46. Ensuite, ce terme a été diffusé dans la recherche sans questionnement ou discussion", explique Tineke Van Gassen, historienne et chercheuse pour les Archives de l’État.

Invisibilisées par cette lecture patriarcale du passé, il était grand temps que les femmes sortent de l’ombre…

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Sous l’impulsion des archivistes contemporain·es, les documents s’ancrent dans une nouvelle lignée. Désormais, la collection ne s’appelle plus "Chartes des comtes de Flandre", mais "Chartes des comtes et comtesses de Flandre". Cette initiative émane du projet REIGN qui ambitionne de permettre une meilleure ouverture à la recherche de cette collection, et ce, selon les normes du XXIe siècle.

Les femmes représentent environ la moitié de la population, donc si on veut comprendre ce monde médiéval, on doit les sortir de l’ombre

Cette (r)évolution nominative interroge par ailleurs notre regard sur le passé depuis notre place dans la société d’aujourd’hui. "Les historiennes, historiens et archivistes sont le fruit de leur époque. Durant le XIXe siècle, l’attention était fortement axée sur les grands événements de l’historiographie nationale. Aujourd’hui, il y a un plus grand intérêt pour les questions sociétales, par exemple l’histoire des migrations, l’histoire familiale, la sexualité, les représentations, les rituels, la vie quotidienne et la culture matérielle… La manière dont les archives sont rendues accessibles et la façon dont elles sont nommées influencent également les perspectives des chercheur·euses relatives au passé. C’est pourquoi la tâche des archivistes est importante…", éclaire la spécialiste.

Le projet REIGN s’inscrit dans un mouvement de visibilisation du rôle des femmes dans l’histoire. Après des années d’invisibilisation, une lecture féministe du passé est encouragée. Dans le cadre de l’initiative REIGN lancée cette année pour une durée de quatre ans, c’est avant tour l’époque médiévale qui est à découvrir sous un nouvel angle. Qu’elles aient été princesses héritières, consorts ou régentes d’un héritier mineur, les femmes ont laissé des traces dans certains actes juridiques, sur les sceaux et les chartes.

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L’actualisation des recherches permet de mettre leurs rôles en lumière. "Les femmes représentent environ la moitié de la population, donc si on veut comprendre ce monde médiéval, on doit les sortir de l’ombre. L’intention n’est pas d’étudier les femmes de manière isolée, mais plutôt d’étudier comment elles ont assumé diverses fonctions au sein de la société en tant qu’actrices de l’histoire", argumente Tineke Van Gassen.

REIGN se révèle une excellente occasion de mieux connaitre notre matrimoine. Des exemples de grandes figures féminines ? Mathilde de Flandre (1031-1093), fille du comte Baudouin V de Flandre et épouse de Guillaume le Conquérant. "Elle était à ce titre duchesse de Normandie et reine d’Angleterre. Elle a fondé et financé diverses abbayes et a aussi financé des acteurs économiques et politiques très influents au Moyen Âge", avance l’historienne.

Citons également, Marguerite Ière de Bourgogne (vers 1310-1382) dont le parcours a été mis en lumière à l’aune des récentes recherches. Épouse du comte Louis de Nevers et mère du futur comte Louis de Male, elle est une figure cruciale de la dynastie comtale. Suite au décès de son mari, elle a assuré la régence au nom de son fils, mineur d’âge. Fils dont elle a arrangé le mariage avec Marguerite de Brabant.

"Cette histoire familiale révèle les fonctions polyvalentes exercées par les femmes. Ces deux exemples témoignent de la manière dont différentes régions européennes nouaient des contacts les unes avec les autres au Moyen Âge et les liens tissés à des fins politiques et économiques. La collection des chartes des comtes et comtesses de Flandre, conservée aux Archives de l’État à Gand, ne contient donc pas seulement l’histoire de Flandre, mais est également pertinente pour une meilleure compréhension des relations qui existaient entre les régions d’Europe occidentale pendant le Moyen Âge", conclut Tineke Van Gassen.